LA NAISSANCE DE L'OLONNOIS

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L’histoire de la naissance de l’Olonnois a tant de fois été demandée à son géniteur que ce dernier en éprouvait parfois de l’agacement. Ainsi, des journalistes, des amis, des connaissances, de simples curieux se sont succédés pour poser la sempiternelle question : « Monsieur Dubernet (ou Clément), comment avez vous eu l’idée de construire l’Olonnois ? » Selon l’auditoire, la conception de ce beau petit canot était contée avec moult détails ou succinctement, mais sans variantes.

Tout a donc commencé en janvier ou février 1960. Un beau jour, Clément Dubernet, constructeur de bateaux et peintre de la vie maritime chaumoise et sablaise, reçoit la visite de jean Lecomte, propriétaire de plusieurs salles de cinéma aux Sables d’Olonne.

« Il est venu me demander de lui trouver un petit bateau d’occasion, raconte Clément Dubernet. je lui ai donné quelques adresses et, un peu plus tard, il est revenu pour me dire que ce qu’il avait vu était, soit trop cher, soit en mauvais état. Alors, je me suis souvenu du canot de mon oncle Maurice, une sorte de maquereautier sur lequel j’avais navigué dès l’âge de six ans. J’avais beaucoup aimé ce petit bateau et j’ai tracé un modèle comme ça, presque à main levée. Mon client m’a dit qu’il lui plaisait et nous avons fait affaire. »

En fait, si à l’origine il semble bien qu’il en ait été ainsi, nous devons dire que la construction de ce canot, qui portera le nom d’Abissiou (nom vernaculaire du poisson prêtre « ATHERINA PRESBYTER ») ne doit pas qu’au seul hasard d’un coup de crayon. Après la première esquisse, les plans ont été longuement étudiés et la gestation suivie avec attention. Clément Dubernet va, en peu de temps, construire dans son chantier un canot traditionnel à franc-bord. Les pièces maîtresses sont en chêne, les bordés en acajou sur membrures ployées en acacia – plus tard, les clients auront le choix entre un clouage galvanisé à chaud ou un rivetage cuivre. Le fond comporte de nombreuses varangues et un carlingage pour moteur fixe. Deux cloisons transversales participent à la rigidité. C’est une construction très soignée et robuste. Le chantier fournit le bateau « barre en main », tout gréé.

Les premiers essais mettent en évidence sa légèreté : « J’avais mis 100 kilos de lest, rappelle le constructeur, mais dame ! il y avait du vent, j’ai bien cru qu’on allait s’envoler ! J’ai remis 100 kilos supplémentaires et c’était bien. J’ai voulu garder le gréement à corne, tout en simplifiant au maximum les manœuvres : trois drisses suffisaient à envoyer la toile. Il fallait un bateau sûr, même mis entre des mains inexpertes. »

De façon impromptue, Clément Dubernet décide de se construire pour son usage personnel ce même canot, qu’il appelle l’Olonnois, mais sans alors envisager de le construire un jour en série. Quant au nom, c’est en pensant à la série des Corsaires que le constructeur a appelé ainsi son bateau, bien que l’éponyme Jean Neau, dit « I’Olonnois », ait été plutôt flibustier ou pirate que corsaire…

Le 10 mai 1960, l’Olonnois est inscrit au quartier des Sables-d’Olonne sous le matricule LS 591, comme un sloop à coque en bois, jaugeant 1,50 tonneau, long de 5 mètres, large de 1,85 mètre, avec un creux de 0,76 mètre et un tirant d’eau de 0,70 mètre. Il est doté d’une voilure de 13,50 mètres carrés et équipé d’un moteur fixe de quatre chevaux. Le même jour, Abissiou est inscrit sous le matricule LS 592 (plus tard, un autre canot de la série portera aussi ce nom).

Très satisfait de son bateau et décidément bien inspiré, M. Lecomte conseille au constructeur sablais d’informer la revue Les Cahiers du Yachting de sa nouvelle création. En fait, Clément Dubernet se contente de téléphoner. « Un vrai bateau de pêche promenade ? On attend ça depuis dix ans ! » lui répond le rédacteur. Un journaliste est aussitôt dépêché de Paimboeuf. « On est sorti dans la rade, raconte le constructeur. Il a pris la barre, tiré des bords, viré. Il hochait la tête, prenait des notes il faut voir Clément Dubernet mimer le chroniqueur. A l’issue de la sortie, il m’a dit qu’il allait consacrer le dossier à mon canot. »

Ce n’était pas une vaine promesse, car la livraison de juillet (n°104) des Cahiers du Yachting consacre au nouveau bateau sa photographie de couverture et trois pages dithyrambiques. L’auteur de l’article emploie le terme « Olonnois » comme celui d’une série naissante. La sécurité, les qualités nautiques du canot y sont louées ainsi que l’espace offert, qui permet au plaisancier de se mettre debout et de se déplacer dans le bateau sans problème d’équilibre pour pêcher, sans même se soucier de devoir « penser » au bateau.

Au Salon de Paris…

Comme on essaie de le persuader de présenter son Olonnois au Salon nautique de Paris, Clément Dubernet regimbe : « Il n’y a que des yachts à ce Salon, j’aurais l’air fin avec mon canot de pêche ! » Mais finalement il se laisse convaincre.

« Les organisateurs nous avaient réservé un emplacement, se souvient-il. Avec mes gars, on a monté une cabane en contre-plaqué, un coup de barbouille, et hop ! fini ! Mais pour le bateau, j’avais soigné mes peintures. On aurait pu se raser dedans. Faut dire que ça avait de la gueule ! »

Le Salon nautique se déroule alors en plein Paris sur les bords de Seine, et en automne, cette année là du 30 septembre au 16 octobre. Un hebdomadaire vendéen fait part de la participation de deux constructeurs sablais, Clément Dubemet et son beau-frère Claude Kirié, un habitué du Salon qui fabrique des dinghies. Sous son stand de contre-plaqué, Clément constate avec stupéfaction que sa création répond à une réelle demande. Pas moins de vingt-cinq unités sont vendues lors de ce premier séjour dans la capitale ! Le dernier jour, après la fermeture, un client (frère de l’amiral Rey) passera même par-dessus les barrières pour commander son Olonnois !

Ce succès ne se démentira pas. Entre 1960 et 1976, 149 Olonnois seront livrés, précise Robert Bénaiteau, qui fut compagnon puis contremaître au chantier Dubernet, de 1956 à 1976. Se souvenant de cette époque, le contremaître raconte que son patron invitait parfois le personnel à prendre un verre chez la Mère Marie, à La Chaume, et qu’il s’amusait à caricaturer sur une feuille de papier tel ou tel client du bistrot…

Plus tard, c’est Henri Queffélec, conduit au chantier par son homologue chaumois Jean Huguet, pour commander la construction d’un Olonnois – peut-être de deux, Clément n’en est pas très sûr. L’écrivain breton revient d’un voyage en Afrique et rapporte qu’il a vu en Zambie britannique un Olonnois appartenant à un Français (peut-être s’agit-il du canot commandé in extremis à l’issue du premier Salon nautique). D’autres signalent la présence d’Olonnois en Belgique, ou encore en Méditerranée. Récemment une unité toulonnaise, qualifiée de vétuste, a échappé à l’autodafé que lui réservait son propriétaire ; transporté aux Sables, le Magali a été remis en état et a retrouvé fière allure au sein de la flottille de ses semblables.